Musique et numérique

Créer de la valeur par l’innovation

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Présentation

Face à la baisse continue du marché de la musique enregistrée, peut-on trouver dans l’innovation des voies pour recréer de la valeur au bénéfice de toute la filière musicale ? Et si tel est le cas, quel impact ces modèles émergents peuvent-ils avoir sur l’organisation de la filière et au-delà, sur les conditions dans lesquelles on crée, joue, produit, promeut, découvre, apprécie, écoute, recommande, pratique la musique ?

D’avril 2006 à mars 2007, le projet « Musique & numérique : créer de la valeur par l’innovation » a exploré, d’une manière collective, les réponses à ces questions.

Cette initiative de la FING, soutenue par l’Adami et la Spedidam, a réuni pour la première fois les majors et les indépendants, les organisateurs de concerts, les acteurs de l’internet, les activistes de la musique, les représentants des artistes, etc. : Acsel, CLCV, Fédurok, Geste, Qwartz, SNEP, UFC Que Choisir, UPFI ainsi qu’une centaine d’acteurs de la musique et du numérique, sans compter les contributions des internautes sur le site http://musique.fing.org.

Une focalisation délibérée sur l’innovation économique

Dans le cadre du débat, de nombreuses voix se sont élevées pour souligner le fait que le financement, mais aussi la sélection et la diffusion des œuvres musicales ne peuvent pas être laissé au seul jeu du marché. Nous partageons ce point de vue, mais nous avons d’entrée fait le choix explicite de ne pas explorer ici la question d’autres formes de financement dans le cadre de ce débat :

  • Notre sujet n’est pas l’avenir de la création musicale mais, plus modestement, de savoir si des formes commerciales innovantes sont en mesure d’aider la filière économique de la musique à sortir « par le haut » de ses difficultés actuelles.
  • Nous souhaitions que des acteurs qui s’opposent sur d’autres questions acceptent de se réunir et d’échanger de manière constructive. Il n’est pas sûr que cela ait été possible si nous avions dû aborder la question du financement collectif de la création.

Nous pensons que malgré ces limites, ou peut-être grâce à elles, des pistes nouvelles ont émergé au bénéfice de tous les acteurs et en définitive, de la création musicale. Il revient désormais à d’autres d’aller plus loin et d’explorer d’autres voies.

Crise et mutation

La musique devrait connaître un âge d’or, culturel et économique. On n’a jamais écouté autant de musique – chez soi, sur soi, dans l’espace public… –, ni autant produit. Mais cette musique devenue flux, ambiance, signe (et parfois produit), est en même temps désacralisée et par suite, sur le plan économique au moins, dévalorisée.

Le numérique et l’internet s’inscrivent dans cette double tendance. Ils facilitent et massifient l’échange d’informations et de goûts musicaux, mais aussi de la musique elle-même. Devenu « non rival » (le donner ne signifie pas s’en priver) et « non excluable » (il est difficile d’en priver autrui, par exemple s’il ne paie pas), l’enregistrement musical voit tout naturellement son prix tendre vers zéro. Et les « mesures de protection technique », inefficaces, voire nuisibles lorsqu’elles font fuir les consommateurs du fait des contraintes qu’elles leurs imposent, ne semblent pas aujourd’hui capables d’inverser la tendance.

Conséquence : le chiffre d’affaires du disque baisse chaque année (près de 14% en 2006), et les ventes en ligne sont loin de compenser la baisse. Certes, la fréquentation (et les prix) des concerts croît, de même que l’édition musicale (qui exploite les droits sur tous les supports), grâce au développement des autres formes de présence de la musique (radio-télé, lieux publics, films, pub…). Mais le disque reste le « marché directeur » autour duquel les autres s’organisent. Sa crise a un impact direct sur les organisateurs de concerts, sur les plus petits labels, sur les studios d’enregistrement, etc.

3Un foisonnement d’innovations3

Les acteurs économiques de la musique ont donc l’obligation d’innover. Et ils le font, même si c’est d’abord sous la pression de « nouveaux entrants ». L’analyse de quelques 50 entreprises et de plus de 30 modèles économiques différents a ainsi permis d’identifier un grand nombre d’initiatives innovantes, tant dans la création de valeur économique que dans la monétisation (le recouvrement de cette valeur) :

  • Six sources innovantes de création de valeur économique :
    • Accroître la valeur économique d’un enregistrement, en le transformant en une « expérience » personnelle, en multipliant ses formats et « créneaux » d’exploitation ;
    • Valoriser la relation avec les artistes, du « fan club » en ligne à la souscription, du merchandising à la Star Ac, en passant par les « amis » artistes de MySpace ;
    • Développer la valeur économique des concerts par la publicité et le sponsoring, la complémentarité avec le disque ou encore l’accès distant et/ou différé ;
    • Valoriser la construction et l’enrichissement de son univers musical personnel : vivre « sa » musique où l’on veut, quand on veut et comme on veut –, mais aussi partager ou étendre son univers musical ;
    • Proposer des services destinés à faciliter l’accès d’inconnus à des moyens de production, de diffusion, d’échange avec des communautés d’amateurs, etc. ;
    • Développer l’usage de la musique comme « supplément de valeur » associé à d’autres produits et services : marques, espaces, offres de services …
  • Trois sources innovantes de monétisation des contenus musicaux
    • Paiement direct par les consommateurs : achat (avec une infinie diversité de modes de paiement), « location », abonnement, vente liée, souscription, don…
    • Paiement par des tiers : licences de diffusion publique, publicité, grands portails, fabricants de baladeurs, fournisseurs d’accès…
    • Les systèmes de gestion numérique des droits (DRM) comme sources de mesure et de collecte de valeur, plutôt que de « protection » contre le consommateur.

Demain, quels systèmes économiques pour la musique ?

Le financement de la musique reposera demain sur une grande diversité de modèles complémentaires. Le débat a en revanche remis en cause les deux modèles qui font aujourd’hui figure de référence :

  • Le modèle de la distribution de fichiers numériques, protégés ou non, aura structurellement du mal à rivaliser avec la gratuité, qui constitue bel et bien le « prix d’équilibre » naturel pour un tel bien, non rival et non excluable.
  • Le modèle dit de la « longue traîne » ne semble pas vraiment validé par l’expérience, en tout cas en matière de musique. En tout état de cause, il semble illusoire de l’interpréter comme signifiant que le marché serait mieux (ou moins bien) qu’auparavant capable de financer une création vivante et diverse.

Par comparaison, les pistes fécondes de création de valeur qui émergent de l’analyse, naturellement complémentaires les unes des autres, sont les suivantes :

  • L’économie des flux, qui consiste à passer d’une économie fondée sur des prix unitaires et des quantités faibles, à des volumes élevés et des prix unitaires faibles – voire non-mesurables, le consommateur ne payant alors qu’un droit d’accès aux flux.
  • L’économie des services, qui retrouve le chemin de la rareté, de la singularité et de l’exclusivité dans l’expérience musicale, la relation avec une œuvre ou un artiste.
  • L’économie de l’attention, l’intermédiation entre une « offre » surabondante, diverse, mondiale et une demande de plus en plus individualisée et mobile.

3Un marché contrôlé par le public, ou par les grands intermédiaires ?3

La quasi-totalité des innovations identifiées ont un point commun : l’importance que prend l’aval de la filière, la distribution, les sites communautaires et plus généralement, l’ensemble des fonctions qui supposent une grande proximité avec l’amateur de musique, ses attentes, ses goûts, sa disponibilité… Or une prise de contrôle de l’industrie musicale par l’aval n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la création et la diversité musicale. Elle pourrait au contraire aboutir à un une création entièrement pilotée par l’analyse des goûts de segments solvables de la clientèle – autrement dit, à la systématisation des dérives que l’on reproche à l’industrie musicale d’aujourd’hui.

Les exemples d’artistes ayant émergé grâce au soutien actif d’un cercle d’amateurs actifs ne suffisent pas à lever les inquiétudes. A mesure que la concentration – inéluctable, et engagée – des grands agrégateurs d’audience progressera, et qu’un nombre croissant d’artistes (ou d’intermédiaires professionnels) maîtriseront les techniques de promotion virale, il deviendra de plus en plus difficile d’émerger sans le soutien de professionnels capables d’investir – ce qui ressemble fort à la situation actuelle.

La « maison de musique » de demain ?

La dernière question que s’est donc posé le groupe est donc de savoir ce que serait la « maison de musique » de l’avenir. Autour d’une idée relativement partagée : celle de recréer (ou de préserver) un découplage entre une fonction centrée autour des artistes (détection, édition, production, moyens techniques, mise en ligne, promotion, relation, spectacles, vente de licences, valorisation des droits, mécénat même) et une autre (rapprochement offre-demande, « économie des flux ») entièrement tournée vers le public. Il s’agirait donc de créer ou de renforcer des pôles fédérant ou mutualisant des fonctions d’édition, de production, d’organisation de spectacles, etc. et capables de discuter d’égal à égal avec les acteurs de l’électronique, de l’accès, des « réseaux sociaux », ainsi qu’avec les communautés d’internautes.

Reste à savoir si les entreprises de la filière musicale auront le temps de s’adapter. La transition est douloureuse, notamment pour les plus petits acteurs. Raison de plus pour dépasser les anciennes querelles, et s’atteler à la double tâche d’aider de nouveaux modèles de financement de la création musicale à émerger, et de s’assurer que ces modèles enrichissent la diversité musicale, plutôt que de la réduire.

 

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